Comme l'écrit Saratoga dans "Je ne suis pas une balance, mes agresseurs ne sont pas des porcs", ce n'est pas la première fois que des femmes témoignent sur la banalité des violences sexuelles. Quand, en 2011, je publie (chez Plon) "Sexe: pourquoi on ment" je fais mention, à la lettre W (il s'agit d'un abécédaire) comme Wikileaks, à une prise de parole des femmes, en Suède, en 2010. Ça s'appelait "Prata om det" (Parlons-en), ça se passait, déjà, sur Twitter. Les femmes scandinaves, les plus libres de la planète à ce qu'on dit, en avaient elles aussi beaucoup à dire. Ce n'était pas le sujet principal de mon livre, plutôt axé sur le plaisir, mais les Suédoises s'exprimèrent beaucoup, à l'époque, sur cette "zone grise" qui sépare le consentement du désir. Et c'est une interrogation qui reste pertinente.
WIKILEAKS« Ah non, Monsieur le juge, je l’ai pas violée, parce que violer c’est quand on veut pas, et moi, je voulais ! » (Coluche, dans la plus remarquable synthèse sur le consentement qui se puisse trouver ).
Je ne voulais pas traiter du viol dans cet abécédaire qui tire à sa fin, puisque je voulais parler de sexe et de plaisir. Le viol n’est pas plus un acte sexuel qu’un coup de marteau sur la tête n’est un acte de menuiserie ou une omelette à l’arsenic une recette gastronomique. Seulement voilà. Le viol est si fréquent, prend des formes si variées qu’il est tricoté dans la substance même de notre sexualité comme un fil métallique dans une maille de soie. Nous le savons, obscurément, depuis toutes petites, sans avoir les mots. Les contes pour enfant sont-ils autre chose que des mises en garde et des menaces à peine voilées ? Le loup ou l’ogre rôdent et peuvent nous surprendre n’importe où, n’importe quand. Inconnu, connu, familier, intime. Le risque de le rencontrer fait partie du paysage, nous sommes prévenues. Mais de manière si codée que le danger en devient difficile à cerner. Et nous savons tout aussi obscurément, qu’à en parler nous prenons un risque supplémentaire. Celui de porter la honte de ce qu’on nous inflige. Et c’est munies de ce sympathique bagage que nous sommes invitées au déduit, à nous laisser aller, à perdre le contrôle, pleines de confiance en nous, en la vie, en l’amour, tout ça… Le plus incroyable, c’est qu’on y arrive parfois ! Grâce à qui ? Grâce à notre irrépressible foi en la vie, à la puissance de notre libido et, aussi, disons-le, à ceux de nos compagnons qui nous aiment assez pour, quand il le faut, prendre le temps et l’énergie de reconstruire ce que d’autres ont saccagé. Merci à eux et à leur précieuse humanité.
Et voilà que le créateur de Wikileaks, l’éclaireur, le révélateur, Monsieur Transparence en personne, celui qui par la mise à l’air des cachotteries de la diplomatie internationale a encouragé, sinon provoqué, les révolutions tunisienne et égyptienne, cachait lui aussi des secrets ! C’est à ne pas croire ! Quelle surprise ! Il y aurait décalage entre les valeurs affirmées et les pratiques personnelles ? Stupéfiant ! Assange veut lever tous les secrets, sauf les siens. Il glapit que la Suède est « l’Arabie Saoudite du féminisme ». On suppose que ça veut dire que les hommes sont traités en Suède comme les femmes dans ce riant royaume médiéval où on coupe la main des voleurs et on lapide les femmes adultères, il a le sens de la nuance, coco! Pourquoi la Suède ? Parce que deux Suédoises ont porté plainte contre lui, et à lire les chefs d’inculpation, on se dit que seul un pays où la parole des femmes est prise en compte pouvait estimer leur plainte recevable. En effet, Assange est arrivé dans leur lit parce qu’elles les y avaient invité, pas l’ombre d’une contrainte à ce moment là. Elles le voulaient, elles l’ont eu ! Alors quoi ? Il est probable que cette accusation de viol n’aurait pas eu le même retentissement si elle n’avait concerné quelqu’un que beaucoup de gens puissants avaient envie de voir tomber. Ils n’ont pas eu à le piéger, il s’en est chargé lui même. Si le viol ordinaire, comme il s’en produit des millions, faisait la une des journaux, ça se saurait…
Malgré les apparences, Assange reste d’une certaine manière cohérent. Les remous provoqués par cette affaire, dont il se serait bien passé, ont pour effet inattendu d’éclairer une zone d’ombre, ce dont l’Australien a fait sa spécialité proclamée. A son corps défendant, certes, il a induit un débat qui a aujourd’hui largement dépassé son cas personnel. Le déversement de témoignages qui agite l’opinion suédoise depuis sa demande d’extradition a sensiblement dérivé de son point de départ pour aborder ce que les Suédoises ont appelé zone grise. Nous sommes en zone de turbulence, dans ce flou qui correspond à ce qu’on appelle « consentement », cette notion si élastique, si incertaine, que les violeurs s’y référent systématiquement pour se dédouaner. Le violeur, c’est toujours l’autre. Dans cette zone grise, le mot viol n’est peut-être pas adapté, question de degré. Reste à en inventer un qui convienne à cette vérité là.
Tout a commencé par un tweet de Joanna Koljonen, une journaliste finlandaise installée en Suède, au sujet de l’arrestation d’Assange en Angleterre. De fil en aiguille, des faits remontant à plusieurs années lui sont revenus en tête. Un de ses partenaires l’avait réveillée un matin d’une pénétration non protégée après qu’elle lui avait dit qu’elle n’était pas d’accord. Il l’avait fait quand même, et elle n’avait pas su s’y opposer. La veille au soir, elle avait eu avec lui un rapport anal, et pensait pour cette raison avoir renoncé à « son droit de dire non ». Il y a fort à parier que son partenaire ne s’en souvient pas du tout. Mais elle, ça lui est resté sur l’estomac.
Qu’est ce que consentir ? A quoi consent-on ? Comment exprimer son non-consentement sans compromettre la relation ? Ça a l’air simple ? Ça ne l’est pas ! Où est la limite ? Comment l’exprimer ? Avec quelle légitimité ? A t-on quelque chose à refuser à quelqu’un qui vous a enculée la veille au soir, où cela fait-il de vous un self-service, un terrain de jeu sans lignes ? Quelle écoute va t-on obtenir d’un homme qui veut, qui parfois exige et qui une fois lancé ne voit pas plus loin que le bout de son nœud ? Et qui, parfois, se fâche ? Combien de fois acceptons nous quelque chose qui ne nous fait pas plaisir, ou qui nous déplait, ou qui nous fait mal, parce que l’exprimer compliquerait un peu plus la situation ?
Le consentement ne peut aboutir qu’à ce qu’il promet, c’est à dire pas grand chose. Un coup pour rien… On n’est « consentante » que quand on ne sait pas, ou qu’on ne peut pas, s’opposer à un abus. Qui s’en contente place très bas son niveau d’exigence. Quand on s’apprête à faire l’amour, et non à le subir, on ne saurait être consentante. On est désirante. Ça n’a rien à voir. Ça veut dire que chaude comme la braise et glissante comme une savonnette on s’apprête à prendre du plaisir, à se goinfrer, à l’unisson avec son homme. Prêts à s’envoler, ensemble.(extrait de "Sexe: pourquoi on ment" (Plon, 2011)
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Nikole - Le 17/11/2017 à 13:30
Pour la dénégation ludique -dans un "vrai" couple, certes- c'est simple, il faut anticiper dès le départ et avoir un mot-code à dire quand c'est un vrai "là c'est stop".
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Nikole - Le 07/01/2018 à 01:53
Décidément, moi j'ai pas de chance. Je ne comprends pas, j'aime pas ne pas comprendre...
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Liénard - Le 23/11/2017 à 02:52
Merci Isabelle pour ce texte majestueux , si fin et percutant. En le lisant je regrette de ne pas avoir mieux compris et connu l’ecrivain engagée que vous êtes. Encore une fois cela prouve peut être que l’on met en avant médiatiquement ce qui sert ce système patriarcal plutôt que des femmes comme vous. merci encore.
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Isabelle Alonso - Le 23/11/2017 à 06:12
Merci!
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sporenda - Le 22/11/2017 à 16:33
La seule chose positive dans le fait que le féminisme avance à une allure d'escargot--quand il ne régresse pas--c'est que d'excellents textes comme celui-ci ne se démodent pas. Tu ne m'en voudras pas si je le partage Isabelle?
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Isabelle Alonso - Le 22/11/2017 à 18:44
Non seulement je ne t'en voudrai pas, mais je t'en remercie vivement!
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