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Gisèle.

Le procès de Mazan tire à sa fin. Demain, le verdict. J’entends dire qu’après Mazan, rien ne sera plus comme avant. Que c’est une affaire hors norme, inouïe, incroyable. La stupéfaction est globale, mondiale. Des équipes de journalistes confluent de la planète entière, donnant au cas Pélicot une dimension universelle.

Beaucoup de choses ont été dites, je ne me suis pas sentie d’y ajouter mon grain de sel. Si je le fais aujourd’hui, juste avant le verdict, qui ne changera pas mon opinion globale, c’est que je me sens en décalage. Je n’ai pas partagé un seul instant l’étonnement général. Il y a longtemps que ce que les hommes sont capables d’infliger aux femmes ne me surprend plus.

Et je n’oublie jamais que seule une partie de cette criminalité parvient à la connaissance du public. Et ce qui arrive à se frayer un chemin jusqu’au média est au prélable abondamment roulé dans la farine grumeleuse de la culture du viol. La quoi ? La culture du viol, c’est l’ensemble des attitudes et des comportements, partagés au sein d'une société donnée, et qui minimisent, normalisent, voire encouragent le viol.

Et la culture du viol, c’est le déni. Le viol, c’est ce que les violeurs ne reconnaissent jamais. Eux, ils disent « consentement ». C’est un mot à eux, sur mesure. Les victimes, le plus souvent des femmes, disent viol. Ou agression. C’est leur mot à elles. Et si l’affaire Pélicot a un tel retentissement ce n’est pas parce qu’elle est exceptionnelle, ce qu’elle n’est probablement pas autant qu’on semble le penser, mais parce que le sentiment d’impunité des violeurs est tel que Pélicot, le Gentil Organisateur des festivités n’a pas hésité à filmer, et à garder les images et aussi les noms de ses complices. L’idée même qu’il puisse se faire pincer et juger ne l’a pas effleuré. Et voilà pourquoi nous avons un procès !

L’exceptionnel de l’affaire tient à un seul point : les images. Car elles empêchent les violeurs d'avoir recours à leur défense habituelle, qui a largement fait ses preuves : le déni quand les faits ne sont pas reconnus, ou l’affirmation du consentement de la victime quand les faits sont reconnus.

Les vidéos privent les agresseurs de leur principal argument. Ces hommes méritent d’être jugés ? Certes. Ils vont l’être. La loi, telle qu’elle est, et dont on dit qu’elle est à la fois mal conçue et mal rédigée, n’a vraiment besoin que d’être appliquée. Pour de bon. Sans laisser passer la majorité des viols. Rajouter le consentement dans le texte est un piège. Consentir à un crime n’a simplement pas de sens.

On sait que le viol c’est partout, tout le temps. On sait que le violeur c’est Monsieur tout le monde. Mais on s’étonne encore. On voudrait trouver du monstrueux, du vampire assoiffé de sang. On cherche une pathologie rampante qui expliquerait un comportement aussi ébahissant. Et on fait intervenir moult psychologues, experts de la chose mentale, qui face à cette brochette de Français moyens se grattent la tonsure et finissent par révéler que certains auraient été victimes d’agressions sexuelles dans leur enfance. Wow ! Et alors ? Ça expliquerait ? Ça justifierait ? Pardon, mais on s’en fout. En tout cas, moi je m’en fous. Non, ces types là ne sont pas des malades. C’est leur banalité même qui pose problème. Qui fait système. Si les femmes agressées sexuellement sont majoritaires, cela signifie forcément que les violeurs le sont aussi.

Le procès ne suffit pas. Ces violeurs-là sont le résultat d’un environnement. D’un contexte. D’un pouvoir patriarcal dont la violence sexuelle est une clé de voûte. L’éternel « male gaze », point de vue masculin, imprègne tout ce qu’on sait, tout ce qu’on dit.

Eux, c’est pas des malades. Juste des mecs, avec des besoins, des désirs, blabla… S’ils trouvent sur Internet l’annonce d’un mari invitant à venir baiser sa femme gratos, ils ne seront pas scandalisés. Ils seront en érection. Et l’érection, ça se respecte. C’est prioritaire, pimpon !

C’est cette culture du viol qu’il faut abattre. Que son anéantissement devienne systématique, financé, légitime. Qu’il entre de plein droit et de plein fouet dans le champ politique.

C’est aux rouages qu’il faut s’attaquer, sur tous les fronts. Depuis des décennies, les féministes s’en chargent. Sauf que c’est l’affaire de tout le monde. Il est temps que la société entière s’y mette. Sinon, des Mazan, il y en aura d’autres. Et on continuera à chercher des monstres là où il y a des maris, des pères, des frères, des fils, des mecs qui se croient dans leur bon droit parce que tout leur dit qu’ils le sont.

En conclusion, merci à deux personnes.

D’abord, merci au vigile qui ayant repéré le manège du client qui filmait sous les jupes des femmes dans les travées de sa supérette, n’a pas fermé les yeux comme beaucoup l’auraient fait. En dénonçant Pélicot, en alertant la police, il a permis l’arrestation et le jugement du serial violeur. Sans lui, pas d’affaire. Pas de procès. Un homme allié, ça se salue.

Et merci aussi, bien sûr, à Gisèle. Son prénom suffit à l’identifier. Il suffirait de trois coups de crayon pour la rendre immédiatement reconnaissable. Elle incarne, avec une grâce spontanée, une femme debout, invaincue, résistante, digne. Et souriante. Toute femme peut se reconnaître en elle. Elle donne au mot victime, qui semble faire si peur à certaines, une consistance nouvelle, pleine de force. Merci à toi, Gisèle, roseau dans la tourmente. Invincible.

 

 

18
Déc 24


Gisèle.


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Chantal - Le 19/12/2024 à 08:07

Merci beaucoup de ce texte. Je ne vois rien à ajouter et donc mon commentaire se termine ici.


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