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Viva Zidane!

ON EST, ON EST, ON EST EN FINAAAAALE ! Aujourd’hui, 9 juillet 2006. Par la grâce du décalage horaire, je regarde le match à onze heures du matin, j’ai neuf heures d’avance . Je n’aurais pas à attendre toute la journée.... Je suis à Los Angeles et pour la première fois je constate sur place qu’enfin les Américains se passionnent pour le soccer, l’étrange jeu qu’ils ont si longtemps ignoré mais que toutes les filles de moins de vingt cinq ans ont pratiqué. Ici, le foot est un truc de filles, et les gens n’ont pas de préférence entre Italie et France. Ils sont fous, ces yankees... Par courtoisie vis-à-vis de moi, mes hôtes penchent pour la France, sauf une femme qui trouve que les Italiens sont « too cute ». Bof. Et les Français, alors, ils sont pas « cute » ? Merde alors. Elle n’y connait rien, celle là... A dix mille kilomètres de Paris, je deviens chauvine, on aura tout vu... Je suis dans la confiance. L’équipe de France revient de tellement loin, elle fait une fin de parcours tellement époustouflante que je ne peux même pas envisager l’idée qu’elle perde face aux Italiens. La victoire des bleus serait tellement jolie ! Zidane au zénith ! J’adore les belles histoires et celle ci est magnifique.


COUP DE BLUES... Zut. Tirs au buts. Barthez a laissé son génie au vestiaire. Bon. On a perdu. C’était trop beau, sûrement. Ils sont arrivés en finale, c’est plus que l’on aurait pensé il y a trois semaines, et pourtant je me retrouve toute déçue. Des fois, je m’étonne moi-même... Je suppose qu’à Paris on rengaine les flonflons.... Même si on regagne un jour, la magie sera différente, parce qu’il n’y aura pas Zidane. Zidane le loyal, le génial, le flamboyant. Zidane au sourire d’enfant et au regard d’acier. Notre Zizou à nous, quoi.


COUP DE BOULE. Zidane a zoné. À la stupéfaction générale, à dix minutes de la fin de sa carrière, il a lancé le coup de boule qui n’a pas fini, je le pressens, de susciter interprétations et commentaires auprès des bavards habituels. Ici, les journalistes américains, ne comprennent pas, se perdent en conjectures, comment, pourquoi, c’est une pitié de voir une chose pareille, bla, bla, bla... Les gens autour de moi font la morale, genre ça se fait pas, c’est vilain. Ils m’énervent, eux... C’est sûr que j’aurais préféré, de loin, un Zidane glorieux, levant le trophée à la face de tous les vilipendeurs si prompts à l’envoyer aux oubliettes dès qu’il se montre un millimètre en dessous de sa miraculeuse perfection. Ça m’aurait fait plaisir de le voir faire la nique à la confrérie proliférante du blaireau médiatique. Mais un grand champion reste un humain et c’est pour ça, aussi, qu’on l’aime. Il a pété un câble, ce n’est pas la première fois. Bien sûr, s’il y avait réfléchi un quart de seconde il aurait décidé de s’abstenir. Gagner reste la meilleure des vengeances, et il lui restait dix minutes... Mais on ne récrit pas l’histoire. Un autre que lui aurait attendu la discrétion du vestiaire, aurait fait son coup en douce, par derrière, discretos ni vu ni connu je t’embrouille. Pas son genre. Lui, c’est en direct live qu’il décoche sa réaction. A chaud. En plein cage thoracique. C’est pas bien. Certes. Mais je me demande si ce manque de calcul, face à une probable insulte répugnante, ne me le rend pas encore plus attachant.


QUI PERD GAGNE Qui a gagné ? Qui a perdu ? Le joueur italien qui a insulté Zidane, qui a utilisé la bassesse comme moyen de vaincre, est aujourd’hui champion du monde. L’insulté, pour avoir réagi à la provocation, est expulsé comme un malpropre sans autre forme de procès. Il va s’isoler dans les vestiaires. Ses pensées, à ce moment là, doivent être bien sombres, alors que dehors, sous les projecteurs, son agresseur se pavane, il a gagné. Il est super content, sûrement. Berk. Ma sympathie va évidemment sans détour vers Zidane au sang chaud. A choisir entre l’insulteur et l’exclu, je choisis l’exclu. Vieille habitude.


FLASHBACK. Retour en arrière. Mardi soir, 27 juin 2006. Je suis à Paris, devant ma télé. Ce soir c’est France-Espagne. Pour une hispano-française, y a t-il débat cornélien ? Tempête sous un crâne ? Conflit interne ? Hésitation ? Non. Pas une seconde. Je suis pour l’Espagne. Spontanément, sans réfléchir. Si la France jouait contre n’importe quel autre pays au monde, je serais pour la France. D’autant plus que la façon dont la presse traite l’équipe de France en général et Zidane en particulier est carrément énervante. Il y a en France une bonne vingtaine de millions d’entraîneurs qui feraient tous mieux que Domenech, journalistes en tête. Donner des leçons, ça coûte pas cher et ça fait vendre... Mais bon, contre l’Espagne, je ne décide pas. Mon cerveau n’intervient pas. Mes tripes le font à sa place. C’est comme ça. Viva España ! L’Espagne marque le premier but. Je jubile. Les Français qui m’entourent tirent la tronche. La situation va s’inverser jusqu’à la 90ème minute et le sublime but de Zidane qui met fin à mes souffrances parce que là, vraiment, il n’y a plus rien à faire pour sauver la situation. Malgré la satisfaction profonde que m’inspire la façon souveraine dont Zidane fait taire tous ceux qui l’avaient prématurément enterré, la défaite de l’Espagne me fait de la peine. Et je me demande pourquoi. Tous les Français d’origine étrangère réagissent-ils comme moi ou pas du tout ? Je l’ignore.


MAL À L’ESPAGNE... En ce qui me concerne, j’ai toujours tendance à pencher du côté du plus faible ou de celui qui m’apparaît comme tel. Question d’éducation et de contexte familial, sans doute. Fille de vaincus, j’ai probablement assimilé la défaite à la vertu et la victoire à la brutalité. J’ai toujours eu mal à l’Espagne. Quand j’étais enfant, l’Espagne, folklo et sous développée, restait le parent pauvre de l’Europe, perdait sur tous les tableaux. Il m’en est resté un réflexe de protection vis-à-vis de mon pays d’origine, pays outragé, pays brisé, pays martyrisé, et pays jamais libéré, pour paraphraser de Gaulle au soir de la libération de Paris... On peut toujours m’objecter que l’Espagne d’aujourd’hui a conquis ses galons de modernité, qu’elle est intégrée à l’Europe, tout ça... Mais il en faut sans doute plus pour tuer les vieux réflexes. La France et l’Espagne ne sont pas encore à égalité. On n’annule pas si simplement des décennies, voire des siècles, de déséquilibre. En foot l’Espagne n’a jamais gagné un match important face à la France. Le jour où l’Espagne gagnera, gageons qu’elle annulera quelques complexes et que je pourrai tranquillement souhaiter que le meilleur gagne... Peut être... Même pas sûr que ça me suffise...


MARCA, ET AUTRES BEAUFS IBÉRIQUES... La presse sportive espagnole et ses grandes gueules avaient bêtement vendu la peau du Zizou avant le match, et une minorité (mais quand même, c’est déjà trop) de supporters espagnols ont encore plus bêtement sifflé la marseillaise. En général les espagnols sont plus fair play que ça. Ils ont payé leur forfanterie de la manière la plus radicale, par la défaite. Ça leur apprendra, aux fanfarons. Dommage que tous les autres aient à assumer la connerie profonde de quelques uns. Du coup, le lendemain de la défaite de l’Espagne, les journaux et journalistes français, qui avaient allègrement traîné dans la boue l’équipe de France toute entière, après avoir réservé à Zidane et Domenech leur goudron le plus visqueux et leurs plumes les plus acerbes, se sont défaussés de leur propre ignominie sur le dos des espagnols. Facile et peu glorieux...


PANEM ET CIRCENSES. La plupart du temps, le foot, disons le tout net, je m’en fous. Et même, l’omniprésence du ballon rond dans les média à longueur d’année m’irrite et je ne suis pas la seule. Inévitable, omniprésent, permanent, prioritaire, le foot nous impose quelque chose de l’ordre du totalitaire. Panem et circenses, jamais les moyens de leurrer les peuples en les détournant des vrais enjeux n’ont été aussi puissants. Les politiques ne s’y trompent pas, qui redoutent les défaites et s’attribuent les victoires comme si elles comptaient au nombre des succès du gouvernement. Pourtant, tous les quatre ans, le championnat du monde arrive à m’intéresser. Au début, par la présence des outsiders, des équipes africaines à qui l’on souhaite de gagner pour qu’une fois de temps en temps les damnés de la terre aient une chance de briller. Cette année on a pu s’enthousiasmer pour l’équipe de Trinidad et Tobago, vaillante petite délégation caribéenne, et pour le Ghana, évidemment. A partir des huitièmes de finale, je me laisse prendre au jeu. Le secret du foot, c’est qu’il dépasse très largement les limites du terrain, de la baballe et des gugusses milliardaires qui lui courent après. On charge ce sport là plus qu’aucun autre de tout un fatras identitaire qui pèse lourd et explique l’hystérie ambiante.


ET LES FILLES, DANS TOUT ÇA ? A part la délicieuse Estelle Denis, mutine et compétente, que le foot a l’air d’intéresser vraiment, et qui a très finement tiré son épingle du jeu en affrontant sereinement les vacheries anti-Domenech de ses chroniqueurs, les femmes restent des ombres dans le monde du foot. Au point qu’on peut se demander si l’extraordinaire succès du ballon rond n’est pas en partie lié au fait qu’il rassure le mâle désormais confronté dans la vraie vie à une concurrence directe avec les femmes. Avec le foot, il est tranquille. Les femmes ont le choix entre




FOOT FÉMININ ? Euh, ceci est un article sérieux, alors ne me parlez du foot féminin que quand des foules des deux sexes harangueront à travers toute la planète sous l’oeil ému de la classe politique toute entière des équipes exclusivement féminines, payées à prix d’or, qui joueront en mondovision... C’est pas demain la veille, on est d’accord. Le jour où les hommes se passionneront pour des femmes exerçant une activité non directement sexuelle, n’hésitez pas à me le faire savoir, je pianoterai sur mon clavier pour commenter la chose, et la célébrer, rêvons un peu...


FOOTEUSES ? Chez certaines, conscientes du malaise, une attitude nouvelle apparaît. Elles se passionnent pour le jeu, deviennent expertes, en rajoutent dans le commentaire qui prouve qu’on a tout compris aux subtilités du hors jeu, de l’attaque à la 6-4-2 ( ?), du sombrero, de la panenca... Des magazines féminins ouvrent des rubriques foot, envoient des chroniqueuses sur les plateau télé où on refait le match, etc... Les femmes peuvent ainsi cultiver l’illusion qu’elles participent, ce qui, on s’en souvient, est plus important que de gagner... Mais ne tombent-elles pas dans un piège plus subtil ? Elles restent exclues de fait. Jamais elles ne fouleront un terrain avec leurs petits pieds, puisque le foot reste une activité exclusivement masculine. En participant au discours, elles partagent l’espace des supporters, comme tous les mecs qui ne jouent pas. Et qui, eux non plus, ne fouleront jamais une pelouse avec leurs gros pieds. Le foot, c’est quelques centaines de joueurs pour des centaines de millions de spectateurs. Homme ou femme, après tout, peu importe, puisqu’on regarde avec les yeux, organe paritaire...


LA FORCE DU RÊVE. Pourtant ça ne marche pas comme ça. Suffit pas d’admirer et de s’y connaitre. Faut s’identifier, en avoir le droit. La fascination du foot tient au fait que chaque petit garçon se voit champion. Le ballon lui arrive à la rotule, mais dans sa tête il est Zidane, ou Ronaldo. A seize ans il joue contre le collège voisin, et il est toujours de la pâte dont on fait les champions. Et ainsi de suite, jusqu’à la bedaine. Le foot, c’est d’abord du rêve, du symbole, de l’identification à un idéal.... Il n’a de sens que dans le lien entre une activité collective chargée d’enjeux valorisants et l’intimité la plus secrète des vies fantasmées. Le rêve compense les frustrations et les échecs de la vraie vie, il la rend supportable, met du baume au coeur. Quand tu es un garçon, rien ne t’interdit de rêver, et d’imaginer que ça peut arriver, puisque ça arrive... Quand tu es une fille, même si un champion en chair et en os te tient la main juste avant un match de coupe du monde, tu sais que ça ne peut pas arriver, parce que tu es une fille. Alors tu peux toujours, une fois grande, devenir une super-experte en foot, ça ne te servira qu’à commenter la vie des autres, celle qui t’est interdite. Pas à rêver la tienne. Cause toujours, tu joueras jamais. Thierry Roland non plus ? Non. Mais sûr qu’il y a cru, il y a longtemps. Et ça change tout. La vie d’un être humain n’est rien sans ses rêves.


BIEN AU FOND... Les hommes les plus starisés de la planète incarnent la masculinité à son apogée de gloire, ils marquent le sommet du stéréotype de la virilité triomphante. Il s’agit, rappelons le, comme l’a dit un jour Domenech, de « la mettre bien au fond ». Il parlait de la balle et du fond du but évidemment, mais l’ambiguité ne vous aura pas échappé, subtils comme je vous connais. Le gardien défend sa lucarne comme une pucelle d’autrefois sa vertu et les assauts de l’équipe ont pour but de lui infliger une humiliante pénétration. Ça a le mérite d’être clair. On te la met au fond, t’as perdu. Tu la mets aux autres, t’as gagné. Rien de nouveau sous le soleil des stades. Ni sous celui des stéréotypes sexuels.


D’AUTRES FILLES, À BERLIN... A quelques encâblures du théâtre des méga performances masculines, et à son opposé absolu, mais toujours dans le registre du « bien-au-fond », des équipes de filles incarnent en miroir la féminité à son apogée de servitude, elles atteignent le sommet de la soumission programmée. Oubliez la gloire, les projecteurs, la fortune et les rêves incarnés. Bienvenue dans le monde des rêves trahis, du cauchemar vécu, de l’obscurité et de la misère humaine. Starisation pour les garçons, prostitution pour les filles. Cliché ? Caricature ? De même que tous les garçons ne deviennent pas des stars mais en le devenant disent aux autres que c’est possible, toutes les filles ne deviennent pas prostituées mais en le devenant elles disent aux autres que c’est possible. Un peu de chance et beaucoup de talent et tu deviendras Zidane, mon fils. Un peu de malchance et beaucoup de misère et tu deviendras une pute, ma fille. On viendra te chercher parce que tu as le malheur d’être née quand il faut pas là où il fallait pas... On te fera une proposition que tu ne pourras pas refuser. ON, c’est à dire les maquereaux qui ont lobbyisé l’Allemagne jusqu’à transformer la prostitution en activité légale, officielle. Qui ont institutionnalisé le droit des hommes au vagin disponible. Qui ont ouvert des bordels qui les rendront millionnaires sur le dos des filles. Les supporters n’ont qu’à traverser la rue pour aller dégorger coquette des tensions du match. Lui aussi, il va la mettre bien au fond, c’est beau le sport... Vu sous cet angle, le foot, ça perd un peu de sa magie, moi je trouve...


SPOT DE PUB... Au début du mondial, un spot de pub, diffusé a la télé, mettait en garde les supporters contre la prostitution et la traite des femmes qui en résulte. J’ai moi même porté, à « on a tout essayé », un tee shirt affirmant qu’ « acheter du sexe n’est pas un sport ». Pourtant cette campagne plus que justifiée a disparu à mesure que les bleus progressaient vers la finale. La campagne de sensibilisation s’est dissoute dans les fumets délicieux d’une victoire improbable se révélant peu à peu envisageable. On a rêvé à la victoire, on a oublié les filles. Abandonnées, une fois de plus, comme d’habitude, comme toujours. On va quand même pas gâcher la fête... Les capitaines des équipes championnse ont lu, au début des matches, dans toutes les langues, des textes condamnant le racisme. Que n’a t’on lu, en même temps et pour les mêmes raisons, des textes invitant les supporters à boycotter le marché aux vagins ? La solidarité marcherait-elle à deux vitesses ? La violence basée sur la couleur de peau, c’est mal. La violence basée sur l’agencement de l’entrejambe, on s’en fout. Et même, si on peut, on en profite. Pas vrai ? C’est la nature. Elle a bon dos la nature. La solidarité est une et indivisible. Humaine, simplement. Universelle. Autrement ce n’est plus de la solidarité. C’est une violence de plus pour les exclus. Et surtout pour les exclues.


VIOLENCE. Alors on peut toujours pousser des soupirs de tartufe sur la violence dans le sport. La violence est partout. Au bal des faux culs, ceux qui oublient celle des bordels et déplorent celle de Zidane, ne feraient pas tapisserie. Même visibles, même devant les caméras, coups tordus et sale jeu se révèlent payants. Je me souviens d’un ukrainien se faisant un auto-croche-patte lui valant un pénalty artificiel, une place en huitième et des feux d’artifice à Kiev le soir même. Triche. Je me souviens du jeune portugais Ronaldo, la cuisse transpercée intentionnellement par un crampon néerlandais. Le portugais en larmes obligé de quitter le stade, son agresseur continuant à jouer. Violence impunie. Entre autres. Et ainsi de suite. La violence, hypocrite, sournoise, a participé à toutes les étapes du championnat. On a pu la contempler parce que désormais les caméras nous font participer de très près à l’action. Elle fascine les foules plus qu’elle ne les scandalise. Vivement la vidéo qui rendra une justice un peu moins aveugle, j’espère... Zidane n’a fait qu’y ajouter un épisode qui n’enlève rien à son génie. Mais qui a écourté la fin de la coupe du monde de l’ovation que nous lui réservions de tout coeur. Son coup de boule nous reste en travers de la gorge.


Bravo quand même. Salut l’artiste. Viva Zidane.


 



Nota bene : de toutes façons, ce dimanche 9 juillet était néfaste aux hispano-français. L’ibérique en moi perd à Wimbledon avec Nadal (que je vénère autant que Zidane). Et après la gauloise que je suis perd à Berlin, avec les bleus. Pas mon jour. Black sunday, comme on dirait ici. Nota bene bis : L’Espagne, avec le Brésil, a obtenu le prix de l’équipe la plus fair play. Et toc.

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Juil 06


Viva Zidane!


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