< Retour aux articles

Valérie Bègue





Elle s’appelle Valérie Bègue. Elle était Miss Réunion. Le vote du public de TF1, la France populaire, la vraie France, quoi, l’a faite Miss France au cours d’une de ces grand-messes consensuelles où le pays se ruine en SMS, histoire d’offrir à Bouygues de quoi se financer un petit caprice supplémentaire de milliardaire vorace…

Trois semaines après, on apprend par les gazettes que Valérie aurait scandalisé la fringante fondatrice du comité, Madame de Fontenay, parce qu’il y a trois ans, une éternité à cet âge tendre, elle a posé en petite tenue dans des mises en scènes suggestives autant qu’iconoclastes. En bikini sur une croix. Puis savourant du yaourt avec un petit air égrillard, voyez le genre, ha, ha, quel talent, le photographe… Un mauvais, comme il y en a tant. Mauvais artiste et piètre être humain, il a couru vendre aux charognards de la presse caniveau les résultats navrants de ses pauvres mises en scène… Il a trouvé preneur, évidemment… Geneviève de Fontenay réagit au quart de tour. Pour défendre sa jeune ouaille ? Non ! Pour demander… la démission de la petite.


Geneviève, on t’aime bien, vraiment, ton franc parler est souvent réjouissant, mais va falloir que tu arrêtes de faire semblant de ne pas comprendre dans quel monde tu vis et quel pacte faustien tu as signé avec Endemol… Depuis un demi siècle que tu fais défiler des beautés locales en maillot de bain, le côté exhibition bétaillère de la chose t’avait échappé ? Vraiment ? Certes, tu revendiques élégance, distinction et vertu de rosière, mais quand, dans les comices agricoles des trente glorieuses, tu faisais tomber le costume folklorique aux candidates pour leur faire porter maillot une pièce et talons hauts, ignorais-tu vraiment la nature de l’émoi causé par les cuisses des lauréates sur les populations rurales au sortir de la messe et de la torpeur post-banquets ?


A l’époque, pour lever toute ambiguité (il y en avait donc…) sur le statut des impétrantes, il leur fallait affirmer (signer ? jurer ?) qu’elles étaient vierges (on disait “jeunes filles”) et dépourvues de petit ami. Ces usages ont disparu, avec ta bénédiction, Geneviève, et on peut imaginer que la nouvelle miss étant tout simplement une jeune femme de son époque, sa supposée vertu ne regarde qu’elle. Voilà que tu veux nous la destituer parce qu’elle a posé pour de pauvres photos d’une indigente provocation dont seuls les vampires tartignoles du magazine Entrevue ont perçu l’intérêt, comprenez l’impact des clichés sur leur commerce fangeux.


L’exhibition de la plastique de nymphettes gavées de mirages rassemble toute une structure voyeuse : chaîne de télé, boîte de prod tentaculaire, presse people, jury showbiz et millions de gogos. Le moteur numéro un de toute l’affaire est bien évidemment le profit que tous ces gens tirent de la grâce des filles. Quant à elles, elles voient dans cette élection une occasion de sortir de l’anonymat, de leur condition, etc… Sans elles, rien n’est possible. Il faut bien que quelqu’un fasse rêver, dans cette histoire. Et avant de faire rêver, il faut qu’elles rêvent elles mêmes. Elles sont des petites filles de Français moyen, pour faire rêver les Français moyens. Et les faire cracher au bassinet, par la même occasion. Le rêve des uns fait la fortune des autres.


Mais quand la foudre tombe, c’est seulement sur la petite fusible de base, à peine sortie de l’adolescence, confrontée à la sempiternelle déclinaison schizophrène de la féminité en terrain machiste : incarner à la fois, en même temps, sur un même image, sex-appeal et pureté juvénile, vice et vertu, ou quelque chose dans le genre. Vierge et putain, on revient toujours à cet axiome. Mission impossible, comme d’habe. En cas de dysfonctionnement, on ne remettra pas en cause la stupidité du système qui demande tout et son contraire mais la fille qui ne savait pas, trois ans avant d’être élue, qu’elle le serait un jour et qu’il convenait de se méfier des photographes crapoteux. Geneviève, toi qui as vendu non pas ton âme au diable, à qui il arrive d’avoir de la classe, mais ton comité miss France à Endemol, c’est elle que tu blâmes. Et ça, ça surprend, car ton bon sens est légendaire


En croyant défendre une certaine idée de la dignité des filles, tu te bats contre des moulins, Geneviève. Des moulins à fric. Tu ne gagneras pas. Seul l’audimat imposera sa loi, pas toi. Ta position est intenable, trop contradictoire. Une fois que les miss sont sur un podium, face caméras, on est dans le domaine de la surenchère. Pour attirer l’attention, il en faut toujours un peu plus. Rappelle-toi, tu ne voulais pas de bikini, tu faisais du maillot une pièce le rempart ultime de… de quoi, au juste ?


Elles sont désormais en bikini… Si l’audience s’émousse, on les mettra en string, puis topless… Y’a des pays où elles passent systématiquement sur le billard, pour leur nez, leurs pommettes ou leurs seins… Ici, pas encore, mais si c’est Endemol qui décide, voilà une barrière qui ne tiendra pas longtemps… Et si ça ne suffit pas, on renoncera à la station debout. On passera à la levrette, travelling sur des cambrures aguicheuses comme au crazy… C’est la logique du système, à prendre ou à laisser, no limit… Pour faire accepter à la candidate ce qu’elle ne ferait pas spontanément, le discours reste toujours le même : on lui répètera qu’elle est trop belle, désirable, que tout le monde la jalouse, que si c’est pas elle ça sera une autre, que c’est pas l’heure de faire sa mijaurée, que c’est la chance de sa vie, celle qui ne passe qu’une fois et ne revient jamais…


On appelle ça un concours de beauté. Mais d’une beauté assortie aux valeurs morales de l’époque. On est passé de larosière-bien-roulée-mais-vierge-et-modeste, à la belle-mais-quand-même-intelligente, et on va vers tellement sexy-qu’elle-pourrait-faire-du-porno… J’exagère ? J’espère, mais je n’en suis pas sûre… En attendant, la toute fraîche Miss France paye seule les contradictions de tout l’édifice. Il y a négociation. Elle garde son titre, mais ne représentera pas la France aux compètes internationales… Faudrait pas qu’à l’étranger on nous prenne pour des blasphémateurs yaourtophages, ça serait trop moche. C’est Benoît XVI qui doit être soulagé… Dans ce monde de maquereaux, c’est la petite sardine qui est punie... Où est l’obscénité ?


Les filles qui ont vingt ans aujourd’hui ont grandi dans la culture de l’image. Parmi ces images, celle du corps féminin, nu, à la fois glorifié et banalisé, manipulé et instrumentalisé pour vendre tout et n’importe quoi… Leur propre corps, donc. Elles ont grandi dans cette représentation permanente. Baigné dans le discours qui assimile l’exhibition du corps féminin à la liberté d’expression, mais qui traite de salope celle qui joue le jeu.


Faire la différence entre tous ces clichés, distinguer ceux qui valorisent de ceux qui détruisent n’a rien de simple. Plus on est jeune, moins on a de repères, et plus la chose est opaque. Qui apprend aux filles à se méfier ? Qui les prévient que l’image est un piège qui peut se refermer sur elles ? Qui leur explique que dans ce monde de reines de beauté, elles font office de carburant et que si le pétrole est précieux, on n’a pour autant jamais tenu compte de l’avis ou du sort d’un baril ? Qui leur dit qu’au moindre faux pas, et par faux pas il faut entendre qu’elles imitent les poses qu’elles voient depuis toujours autour d’elles, on leur jettera la pierre, à elles et à personne d’autre ?


Si défiler en bikini, de plus en plus petit au fil des années, sur un podium exposé à des millions de télespectateurs et accepter d’être jugée et classée en fonction de critères standardisés est une activité banale sans implication particulière. Si l’exhibition omniprésente de femmes nues constitue une inoffensive activité esthétique. Si poser pour ces photos, quelle qu’en soit la qualité, est juste un job parmi tant d’autres. Alors on voit mal ce qu’on peut reprocher à Valérie, au point de la disqualifier.


Certaines choses n’évoluent décidément pas. Dans les années cinquante, Marylin Monroe, débutante fauchée, avait accepté de poser nue pour un calendrier. Sa carrière naissante faillit être compromise quand, des années plus tard, ces clichés furent publiés. Rien de nouveau sous le soleil, donc…


Quant à ceux qui ont pris la défense de Valérie, ce n’était ni pour plaider sa sincérité ni pour vilipender le photographe indélicat, mais au nom des intérêts touristiques supérieurs de la Réunion, déjà assez perturbés par la chikoungougna…. Comme dit Eddy Mitchell : « Dans un monde de requins, faut une bouée ! » À méditer. Bonne année quand même, Miss !


iA !

27
Déc 07


Valérie Bègue


Partager cet article

Votre commentaire