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Sex, drugs et tabassage de copines ?


par Sporenda


« Je pense que si la plupart des mecs en Amérique pouvaient mettre dans leur lit leur sex symbol favori et avoir la liberté totale de faire ce qu’ils veulent avec ce corps légendaire pour un après-midi, au moins 76 % des hommes de ce pays choisiraient de la battre.


» Lester Bangs, cité dans Let it Blurt, the Life and times of Lester Bangs, America’s Greatest Rock Critic par Jim DeRogatis.








LE MONOLOGUE DU PENIS...

Pas évident d’être rock fan et féministe. Ça fait longtemps que je suis consciente de cette contradiction, à peine moins massive depuis l’arrivée de contingents féminins relativement importants dans les bacs et sur scène (derrière des instruments, j’entends et pas en train de tortiller du postérieur en string). La presse rock est aussi un domaine qui reste encore majoritairement l’affaire de journalistes mâles qui écrivent imperturbablement au masculin neutre et où la lectrice se sent à peu près aussi à sa place que dans un vestiaire du PSG après le match. Et quand je cherche l’album rare dans les magasins de disques d’occasion, je suis toujours la seule cliente de sexe féminin, comme si collectionner des vinyles était une passion aussi spécifiquement masculine que le fétichisme du pied. Le traitement de l’affaire Marie Trintignant/Bertrand Cantat dans la presse rock nous renvoie de nouveau à cette vieille tarte à la crème : l’énergie de cette musique, celle des " riffs saignants " et des " orgies de décibels ", celle du hard rock et plus récemment celle du nu metal et de certains groupes du " renouveau du rock " est-elle essentiellement une " énergie masculine " ? À l’origine, dans l’argot black - les critiques rock ne manquent pas une occasion de le rappeler - rock n’ roll voulait dire baiser, dans une acception nettement transitive. Et la raison traditionnellement donnée par les musiciens pour avoir appris à jouer d’un instrument et formé un groupe n’est-elle pas que c’est le seul moyen dont disposent les maigrichons boutonneux pour attirer les filles ? En extrapolant un peu, le concert de rock ne serait-il pas quelque chose comme une résurgence des anciens cultes phalliques, le riff de guitare un monologue du pénis et une bonne partie de cette culture, en termes plus intellos, une expression musicale de l’agon masculin ? Agon masculin comme dans trip d’omnipuissance, ego zepelinesque, rêves de harem et d’érections permanentes... Dans les Armageddons sonores évoquant la ruée des Panzers à travers la Pologne, dans les poses rouleuses de mécanique des étalons en lycra, dans les fanfaronnades mégalo des lyrics, il faudrait être aveugle pour ne pas voir se profiler l’ombre du grand gorille se frappant sur la poitrine et envoyant aux quatre coins de la jungle le grognement de l’âge des cavernes : " je suis le chef parce que j’en ai une plus grosse ". Quand on voit la fin de course de certaines stars quinquagénaires (ou plus)- bimbos radieuses de bêtise maternant leur rocker sénescent, sponsoring de n’importe quoi, résidences défiscalisées---s’impose la constatation banale que les rebelles d’hier sont devenus les beaufs d’aujourd’hui et que le drapeau de la rébellion adolescente leur a servi de ticket d’entrée dans le système ... S’il s’est montré novateur dans le marketing de cette rébellion, le rock a financé des ambitions classiquement patriarcales, à peu de chose près identiques à celles du chef de la horde primitive, lui-même indiscernable able à l’œil nu du mâle alpha cité plus haut... L’écrivain écossais Iain Banks souligne que si l’on n’a pas le talent pour devenir musicien, on peut toujours se rabattre sur gourou : pouvoir, fric, médiatisation, adoration et harem, les privilèges sont les mêmes. David Koresh, de la secte de Waco, et Charles Manson étaient des musiciens ratés... Cock rock comme on disait aux US... Le rock n’est-il que la testostérone plus l’électrification ? Pas tout à fait, quand même, sinon j’aurais vendu ma collection de CD’s depuis longtemps. Et pourtant... Si l’on revient sur l’histoire du rock, nombre des rites de cette culture du siècle dernier relèvent indiscutablement du machisme pur jus, du plus grotesque au plus violent : la route du rock est semée d’histoires de chaussettes glissées dans le pantalon dès le père fondateur Elvis, de guitares/ appendices phalliques brandies avec toute la subtilité d’un exhibitionniste ouvrant son imperméable, de gang bangs de groupies rameutées par des roadies crapuleux, d’innombrables lyrics d’une misogynie virulente (" the way she does just what she’s told...She is under my thumb/Ah ah say it’s allright- Under my Thumb ; les Stones) ; d’albums à titre provocants (Penetrator, Ted Nugent) et/ou ornées de gros plans de braguettes avantageuses ou de filles peu vêtues, rampantes, attachées (Black and Blue, toujours des Stones ; Animal Magnetism, des Scorpions), de femmes de caractère traînées dans la boue pour avoir fait spliter des groupes ou " détruit " des musiciens (Yoko Ono, Anita Pallenberg, Courtney Love), d’admonestations à rester musicalement entre hommes (" pas de femmes dans un groupe ", disait Keith Richards), de concerts pharaoniques style congrès des HitlerJugend à Nuremberg avec leadsinger domptant d’un geste la foule en délire.. .


SEX, DRUGS ET TABASSAGE DE COPINES...


Et son lot d’histoires de femmes battues, eh oui ! Et il ne s’agit pas de vagues rumeurs. Affaires documentées, qui n’ont pas nécessairement eu la médiatisation de l’affaire Trintignant/Cantat ou celle des mésaventures de Tina Turner avec Ike : Tina est une des rares a avoir publié des mémoires-I Tina—où elle aborde extensivement les violences subies, ce qui a fait d’elle LA femme battue du rock jusqu’à la mort horrible de Marie. Mais elle est loin d’être la seule : au détour des biographies, glissé en quelques phrases anodines, on apprend que Brian Jones était coutumier du fait, au point d’avoir laissé inconsciente une de ses dernières amies, Suki Potier. Que Jim Morrison, sans être véritablement un cogneur, se montrait parfois violent avec les femmes. Que Jimi Hendrix édictait des règles de comportement minutieuses pour ses compagnes, contrôlait leur emploi du temps et les frappait au moindre manquement [1] " Jimi Hendrix était un génie, " déclare un de ses associés les plus intimes, Eric Burdon (leadsinger des Animals) en 1976. " Mais une minute il était sur scène chantant les masses opprimées et la suivante, il se déchaînait à coups de pieds sur une pauvre fille... " [2]. Ce qui montre que la dichotomie posture publique progressiste/comportement de brute dans le privé n’est pas vraiment une première... Qu’Axl Rose a envoyé plusieurs fois son amie Erin à l’hôpital et l’aurait battue une fois parce qu’ « il n’aimait pas la façon dont elle nettoyait sa collection de CDs » ! Et une autre de ses amies, le mannequin Stéphanie Seymour, a intenté une action en justice contre lui pour lui avoir donné des coups de pied, l’avoir poussée du haut d’un escalier, écrasé le nez et collé un œil au beurre noir [3]. Que Nancy Spungen, compagne de Sid Vicious, était en permanence couverte des bleus, plaies et brûlures de cigarette qui constituaient apparemment l’ordinaire de leur vie de couple [4]. Que la groupie Sable Starr a raconté avoir quitté Johnny Thunders (leadguitar des New York Dolls) parce qu’il la battait régulièrement. Et j’en passe... Ce qui amène à la question suivante : le milieu rock ne fait-il que refléter la tolérance sociale dont bénéficient les hommes violents ou comporte t’il certaines spécificités qui magnifient cette tolérance ? Il semblerait que la deuxième hypothèse soit la bonne. En effet, un peu comme la pornographie ou l’armée, le rock est à l’origine un milieu créé par et pour les hommes, où les femmes ne figurent que pour le repos du (guitar) héros. La culture du hard rock et du métal sont explicitement machistes, véritable festival lourdement tautologique de symboles phalliques, souvent empruntés à la culture gay d’ailleurs. Bianca Jagger, ex-de Mick, et donc bien placée pour en parler, a déclaré " le business du rock est une société secrète dirigée par des hommes " [5] Ou encore, comme l’écrit Jordi Bianciotto : " le mythe de l’artiste caractériel et charismatique dont le génie l’autorise à se comporter comme un authentique crétin atteint des sommets dans le rock... Le jeune homme blanc, riche et créatif a carte blanche pour transgresser toutes les règles. Et en premier lieu celles du comportement sexuel. " [6] La rock star remplit une fonction sociale : investie du droit de franchir les lignes jaunes, elle permet à ses fans, humains ordinaires qui doivent observer le code de la route, d’assouvir leur désir de transgression par procuration sans perturber l’ordre social. Mais ce permis de dépasser les limites et de commettre tous les excès renvoie à quelque chose de fondamentalement régressif : dans son trip " je suis le roi du monde", la rock star qui saccage sa chambre d’hôtel se donne comme contestataire de l’ordre établi ; en fait, il est du côté du pouvoir sous sa forme la plus arbitraire et se conduit plus comme une brute fachiste sûre de l’impunité que comme un intrépide anarchiste : sa boîte de prod paie un contingent d’avocats pour le tirer d’affaire et elle casquera aussi pour les dégâts, tandis que de pauvres types rémunérés au SMIC passeront pour nettoyer après lui... Bertrand Cantat jouait la carte du rocker viril et était le chanteur charismatique du plus célèbre groupe de rock français. Cette permissivité spéciale accordée aux rock stars a-t-elle joué un rôle dans son passage à l’acte ? A t’il succombé au syndrome de l’idole intoxiquée... par l’’encens que lui font brûler ses fidèles ? Aurait-il cru sa propre hype (ange noir et saison en enfer) et serait-il devenu (plus) violent pour respecter le cahier de charges rock : sex, drugs etc. ? Le tabassage de copine, must du rocker à la virilité affirmée, ne constituait-il pas aussi pour lui une façon, certes très littérale, d’affirmer sa rockitude ? Mise à part l’appréciation pour la qualité des textes et de la musique de Noir Désir, on peut trouver que Cantat en faisait trop dans la pose bad boy, son rapport à la culture rock évoquant plutôt l’approche poupée Barbie : panoplie " rocker " où manque pas un zipper au Perfecto, rébellion sursignifiée, abus de cuir noir et duplication consciencieuse de l’image morrisonienne (acrobaties sur balcon comprises si l’on en croit la presse.) Et puis récemment, il s’était mis à donner des leçons, au " camarade Messier " entre autres... Le macho considère qu’un homme a le droit de céder à ses pulsions, quelles qu’en soient les conséquences pour celles qui en sont la cible ; chez Bertrand Cantat, ce schéma mental aurait-il été amplifié par la perte de contact avec la réalité de la rock star narcissique (dont la plus récente victime semble être Michael Jackson) ? » ll n’y a pas que des rock n’ roll suicides, il y a aussi-voir Phil Spector—des rock n’ roll meurtres...





[1] « Comme la plupart des hommes, il appliquait un double standard. « Quand nous avons commencé à vivre ensemble, j’étais très jeune et assez sauvage, se souvient Kathy (Etchingham) presque en s’excusant. Hendrix l’a enfermée dans la chambre à coucher pour la punir et a passé de « nombreuses heures à lui expliquer patiemment comment elle devait se conduire, en tant que femme et compagne vivant avec la personne que j’aimais....Une nuit, au Bag O’ Nails, une boîte de Londres, Kathy laissa Jimi à sa table pour aller à l’étage téléphoner à un ami. Après un moment-plus long que ce que Jimi tolérait-« il monta à l’étage et, assumant qu’elle parlait à un rival masculin (ce n’était pas le cas), il lui a arraché le récepteur des mains et a commencé à la frapper sur la tête avec. Kathy hurlait lorsque, heureusement, Lennon et Mc Cartney, qui passaient par là, ont séparé Jimi de son amie. Une fois, Hendrix lui brisa le nez en trois endroits différents en lui donnant un coup de pied bien ciblé. ». Rock and Roll Babylon. Gary Herman. Plexus, London, 121.

[2] Idem.

[3] Rock Bottom, Pamela Des Barres. Abacus, 401-403.

[4] Histoire à resituer dans la culture SM de la scène punk ; Sid semble avoir aussi pratiqué l’automutilation.

[5] Rock and Roll Babylon.

[6] Sexe and Rock n’ Roll. Jordi Bianciotto. La Mascara, 29.


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25
Nov 03


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