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Rage

Unknown-2Lundi 6 avril. France 5. C à vous, animée par Anne Elisabeth Lemoine. Sur le plateau, l'invité est le Professeur Jean Daniel Chiche, de l'hôpital Cochin. Il aborde, entre autres, la question de "la solitude du médecin trieur". Qui réanimer? Qui ne pas réanimer? En temps normal, il s'agit d'une "décision collégiale, réfléchie et posée, surtout sans critère d'âge, sans critère d'âge...". Aujourd'hui, la situation est telle que ce qu'on voulait éviter, à savoir "une situation où on ait des choix à faire qui ne sont pas des choix vivables  pour les équipes soignantes" est une réalité quotidienne dans les services submergés.

images-1Puis il change de ton, on le sent ému: " je vais vous raconter quelque chose qu'on vit au quotidien et je crois que ça permet bien de se rendre compte de ce que vivent ces gens là. Vous avez de temps en temps des patients que vous accueillez conscients, qui ont une insuffisance respiratoire majeure, que vous allez mettre sous respiration artificielle en leur disant on va vous endormir en vous mettant sous respiration artificielle et on vous réveillera quand ça ira mieux et parfois ces patients après une semaine,, deux semaines, après plusieurs défaillances d'organes, ces patients finissent par décéder et vous avez des soignants qui les ont connus conscients qui sont amenés à faire un truc extrêmement difficile qui est la toilette mortuaire et c'est quelque chose qu'ils ne laissent à personne, ils veulent le faire, (son bouleversement se lit sur son visage, s'entend à la façon dont ses mots tremblent) et dans les minutes qui suivent cette toilette mortuaire, lorsque le corps de ce patient va être transféré à la morgue, on refait la chambre, et il est possible qu'une heure après, on rentre dans l'unité et on dise à l'infirmière vous allez prendre un autre patient , et un truc qui s'associe à du stress post traumatique, à du stress, et bien pour ces soignants ils se retransforment immédiatement en guerriers et repartent au combat... Je crois que c'est quelque chose dont on peut être très fier et j'ai envie de vous dire la résilience de ces équipes de réanimation, c'est quelque chose qu'on retrouve dans tous les services de réanimation du monde"....

Unknown-5Il ajoute: "il faut s'attendre à ce que après cette épidémie on se retrouve avec une augmentation de ce qu'on appelle le burn out dans notre jargon"

A ce moment on oscille entre rage et larmes. Larmes pour les milliers de morts et ceux qui mettront des années à s'en remettre. Rage devant la médiocrité, la morgue, le cynisme de ces gouvernants qui considèrent que la sourde oreille est une forme acceptable de négociation. Prosternés devant une idéologie néolibérale qui démontre sa nuisance depuis des années, immobiles et obstinés, ils mentent avec aplomb et prennent pour de la fermeté ce qui n'est que de l'aveuglement. Martin Hirsch traitant les infirmières de "scrogneugneu", Yves Calvi parlant de "pleurniche hospitalière" ne font qu'exprimer l'exaspération de la macronie face à ceux qui pourraient avoir la décence de crever en silence.

Unknown-6Si l'hôpital public n'avait pas été délibérément réduit comme une tête de Jivaro, appauvri, saigné, déchiqueté, si pendant des années les hospitaliers qui tiraient la sonnette d'alarme, avaient été accueillis par autre chose que l'indifférence, du cynisme et des grenades lacrymogènes, la pandémie aurait peut être eu lieu, mais elle aurait été affrontée avec d'autres moyens.

Merci Professeur. Votre sincérité crevait l'écran.

images-2Je mesure aujourd'hui ma chance d'avoir pu accompagner de très près les fins de vie de ma mère et de mon père. Je n'étais pas seule, j'ai aussi la chance d'appartenir à une fratrie soudée. Je me souviens d'avoir été, pendant ces années où les séjours à l'hôpital se multipliaient, à la fois surprise et touchée de la qualité d'attention portée par les équipes médicales à mes parents. L'hôpital était très loin de mon univers. Je n'y connaissais rien, et comme tout ce qu'on ne connait pas, il m'inspirait crainte et méfiance. La façon dont furent accueillies et traitées, à moult reprises, ces deux vieilles personnes, évidemment en fin de parcours, malades, fragiles, qu'étaient devenus mes parents, m'avait sidérée. Et considérablement réconfortée. Après tout, ces blouses blanches  ne les connaissaient en rien, n'avaient pas comme moi de solides raisons de les adorer. Je m'attendais à des gestes purement techniques et je me trouvais (pas toujours, mais le plus souvent) face à du bienveillant, de l'attentionné.

Humain, comme une évidence.

Et j'en ai conçu une gratitude profonde. Pour toujours.

07
Avr 20


Rage


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Espace commentaire

Juggernaut - Le 07/04/2020 à 19:32

Cela se passe t-il mieux dans les pays d'extrême gauche, non libéralistes ? https://www.lepoint.fr/monde/coronavirus-le-venezuela-au-bord-d-un-desastre-sanitaire-27-03-2020-2369098_24.php La critique est aisée, mais l'art est difficile.

Isabelle Alonso - Le 07/04/2020 à 19:39

Je ne sais pas ce qu'est un pays d'extrême gauche. Si c'est Cuba, on peut tout leur reprocher mais leur système de santé est une réussite. Certes, on ne peut pas reprocher à ce gouvernement de changer d'avis, dans le cas du masque leur revirement est positif. On peut en revanche hurler de rage à les avoir vu ignorer pendant des années les revendications des hospitaliers et ne leur avoir accordé d'attention que pour les réprimer dans des manifs pourtant pacifistes garanties sans "casseurs". Nous sommes en France et la France mérite mieux que cette équipe de bras cassés qui nous gouverne.


vareuse - Le 08/04/2020 à 21:12

L'exemple du Venezuela est très mal choisi : c'est un pays qui a dû faire face à des ingérences multiples, de la part d'une des plus grosses puissances mondiales, les Etats-Unis, ces dernières années. Et vous voudriez qu'il soit au meilleur de ses capacités ? Le problème n'est pas la gestion de gauche, le problème est que le pays vit en perpétuelle résistance face à des agressions extérieures. Et personnellement, je plussoie l'exemple donné par Mme Alonso de l'efficacité du système de santé cubain. Faut comparer ce qui est comparable, en résumé :)



Roujlimé - Le 07/04/2020 à 20:59

Que la paupérisation de l'hôpital parce que "ça coûte un pognon de dingue" soit un scandale nourri par le libéralisme qui n'a de valeur que le marché, soit, on ne le dénoncera jamais assez. Ni la pantomime que nous a servie notre grand communicateur. Comme manip, c'était colossal et en plus raté parce que tout le monde a vu la manœuvre, censée être prise sur le vif. Enfumage foireux. Mais quant à savoir qui réanimer ou non, c'est une situation quotidienne dans les établissements hospitaliers.

Isabelle Alonso - Le 07/04/2020 à 21:38

Le médecin a bien dit que les décisions en ce moment sont prises de manière très différente, dans l'urgence, individuellement, créant un stress impossible...



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