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Promo blues...


Une journée à Limoges.




Ce matin-là, lundi 31 janvier 2005, je suis d’une humeur de dogue. La veille je me suis tendu à moi-même un piège de débutante. Dimanche soir, quand je me décide à aller me coucher, il est trois heures du mat et je n’ai pas encore sommeil. Je dois me lever à sept heures et prendre le train pour Limoges à 9h09. Pour me détendre, je prends une douche bien chaude, et au dodo sans me sécher les cheveux, ça fait trop de bruit. Quand je me lève, à sept heures pétantes, mes cheveux ont séché répandus en désordre sur l’oreiller. Résultat, le côté gauche de ma tête est agrémenté d’un effet iroquois. Une mèche dressée à la verticale, absolument verticale, pas penchée le moindre, me défigure le faciès de sa raideur capillaire horrifiante et implacable. J’ai l’air de sortir d’un gaufrier... Fallait s’y attendre, me susurre mon amoureux hilare en me tendant mon café. Ça le fait marrer c’est toujours ça. Et moi, obligée de remouiller mes cheveux et de risquer la crève au moment d’affronter les frimas de janvier.... Pas le temps de leur donner un coup de séchoir.


J’appelle un taxi, je descends, il est huit heures trente. Mon amoureux descend avec moi, pour différer le moment de se séparer. Ange gardien. Solidaire. Et pas frileux. En tee shirt, persuadé qu’il y en a pour une seconde. Il y a dans l’air glacé comme un parfum de fatalité. La voix du chauffeur au téléphone tout à l’heure m’a vaguement inquiétée. Une longue pratique des appels à la borne, quelque chose de mou dans la réponse me font soupçonner qu’il ne viendra pas. Et vous savez quoi ? Il ne vient pas. Chien galeux. A moins le quart je suis obligée d’intégrer l’hypothèse que je vais louper le train. Je rassure mon homme qui vire lentement au bleu. “ Rentre, je descends au carrefour, ça serait bien le diable qu’il n’y en ait pas un qui passe... ” Un baiser rapide et il remonte, frigorifié et confiant. Je galope, je guette à l’horizon le lumignon blanc d’un taxi libre, un coup de bol, on ne sait jamais. Si, on sait. Ce genre de miracle n’arrive tout simplement pas. Je décide de courir jusqu’au métro. Je n’ai aucune idée du parcours, des changements, tout ça. Je n’ai pas de ticket non plus. Je me greffe mentalement un réacteur au derrière, je fonce.


A neuf heures neuf, quand le train démarre, je suis dedans. A bout de souffle. Je l’ai chopé par le bout du dernier wagon. Je ne sais pas au juste comment j’ai fait. Je me suis mise en mode fusée. Je fume par les naseaux. Je viens de battre le record d’aller simple à la gare, mes poumons déchiquetés par l’effort traînent derrière moi comme des chaussettes dévastées. Je dois être trop mignonne. Ma crête, ignorant les effets de l’humidité pour ne retenir que ceux du vent, s’est redressée comme un défi à l’adversité. C’est surmontée de cette révoltante érection capillaire et maudissant la confrérie des taxis que je m’écroule sur mon siège en vouant aux mêmes gémonies traîtresses les chauffeurs menteurs et les shampoings félons. Je me recroqueville, m’absorbe dans la contemplation du paysage. Déprimant. La campagne de janvier s’étend comme une marée de linge sale, semée de grumeaux de vieille neige, griffée de méchants buissons nus. Quel cauchemar si le train s’arrêtait dans ce désespoir crapoteux... On a inventé la ville pour oublier cet hiver là. Vive le macadam et les néons... Trois heures et demie pour arriver à bon port, j’ai le temps de me calmer.


A Limoges, tout le monde est charmant, je retrouve ma sérénité et même ma bonne humeur. Le soir, mission de promo accomplie, opération retour. Sept heures de train dans la journée pour une et demie de télé et interviews, c’est la loi du genre. Je suis fatiguée. Il fait nuit, au moins ne verrai-je pas la campagne. Je reviens dans un mois, ça sera un peu vert... A la gare, je fais un tour à la librairie voir si Filigrane est bien exposé, avec, je suppose, l’air détaché de l’espion amateur... Tant que j’y suis, je m’achète un peu de lecture, puisque j’ai fini ce matin le livre de Jean Pierre Foucault dont nous allons parler après-demain à “ On a tout essayé ”. Il fait froid sur le quai. Vivement mon lit.


Deux heures après j’ai oublié janvier. J’ai oublié les taxis absents, les mèches rebelles, la tristesse de l’hiver. J’ai envie de courir sous la pluie, de me cramer l’épiderme au soleil du sud sans souci des ultra violets, j’ai envie de rire, de soulever le pull de mon amoureux pour lui poser un baiser sur le ventre, j’ai envie de faire l’amour, de chanter, de mordre dans la vie de toutes mes dents, et j’ai les moyens de ma politique ! J’ai pas bu, pas fumé, rien sniffé, je sais pas faire ce genre de trucs... Je suis d’une autre euphorie...


Je viens de m’empiffrer deux cent cinquante pages du dernier Onfray. Un régal. Traité d’athéologie ça s’appelle. J’ai pas fini, il m’en reste, je ralentis pour que ça dure plus longtemps, comme en amour... C’est pas tous les jours qu’on se prend un tel shoot de pure jubilation. C’est drôle, c’est argumenté, c’est roboratif, ça tient au corps, c’est in-tel-li-gent ! ! J’ai les neurones en liesse, je suis en plein kif ferroviaire, je vois la vie en rose dans ce corail qui file dans la nuit, on peut aller jusqu’à Tombouctou, je m’en fous ! Je range Michel Onfray et son “ Traité d’athéologie ” dans mon petit panthéon personnel, juste à côté de Violeta Parra et sa plus belle chanson du monde, “ Gracias a la vida ”. Hymnes à la vie.


Merci Michel Onfray. Ce que vous écrivez, à quelques détails près, je le pense. Que Dieu n’existe pas, que l’athéisme est une valeur, que le paradis est ici et maintenant ou jamais. Ça fait du bien de le lire. Merci, donc. Merci aussi pour l’érudition, pour la rigueur, pour la rationalité. Merci aussi de ne pas oublier les femmes dans vos démonstrations. C’est tellement rare, cette sensation de faire partie du paysage mental de nos penseurs... Cette solidarité là est précieuse.


Michel Onfray s’est donné la peine (moi, j’aurais jamais pu...) de lire les “ livres saints ”. Et de nous en présenter une critique. Et de pourfendre les superstitions, approximations et délires par lesquels les églises contrôlent les fidèles. A noter qu’Onfray ne s’attaque jamais aux convictions intimes des individus, mais aux manipulations des institutions religieuses pour conquérir et conserver le pouvoir.


Par ces temps de retour en force des intégrismes, de croisades hypocrites et sanglantes, de massacres en tout genre et d’innombrables abus de pouvoir au nom de valeurs religieuses relevant des trois grands monothéismes, il est sain, urgent et primordial d’affirmer l’athéisme comme une garantie de respect de la vie. La vie ici et maintenant. La seule dont l’existence est prouvée et constatable. La seule dont nous sommes sûrs de profiter.


Quand verrons-nous, le dimanche matin, sur le service public de télévision, avec les émissions religieuses, au nom de la liberté d’opinion et d’expression, une émission sur l’athéisme ? C’est l’heure des émissions religieuses, m’objectera t-on, pas des émissions non religieuses. Nous en sommes encore à devoir nous définir par rapport à la religion, norme écrasante. Y compris par le langage. Nous n’avons pas de tribune. Notre vision du monde mérite qu’on s’y arrête. Ce ne serait que justice. Nous sommes athées, nous sommes nombreux. Et nous payons la redevance...


iA !

06
Fév 05


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