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La complainte du hamster

 
Gueule de bois. Je me sens comme un hamster dans un labyrinthe. Voyez l’image ? La petite bête trottine dans un corridor sans paysage. Elle ne peut pas revenir en arrière. Elle avance, donc, à la recherche de la noisette de ses rêves. Elle arrive devant une bifurcation. Deux voies : soit tourner à droite, soit tourner très à droite. Pas d’autre choix. Mais le hamster, il ne le sent pas. Son instinct, sa boussole intérieure, son sens de l’orientation lui disent que le bon chemin vers la noisette devrait être à gauche. Mais à sa gauche, juste une paroi lisse. Pas d’issue. 

Le hamster, c’est moi. C’est vous, peut-être, après ce premier tour des présidentielles. Alternative le dimanche 24 : soit prendre à droite, et ça pue, soit prendre très à droite et ça pue encore plus. Des deux propositions, l’une me fait vomir et l’autre me fait gerber. Gerber c’est pire ? Certes. 

Moi, ce que je veux, c’est virer le labyrinthe. Le labyrinthe qui piège, qui trahit. Le labyrinthe, ce sont les institutions. Depuis le début du siècle, il y a eu cinq élections présidentielles. Trois fois sur ces cinq (en 2002, en 2017 et maintenant en 2022), la gauche s’est retrouvée en position de devoir éliminer LePen, père ou fille, au deuxième tour. Trois fois sur cinq, ça fait 60%. Y a quelque chose qui cloche, non ? En être réduit à voter à droite quand on est de gauche, révèle quelque chose de notre supposée « démocratie ». Le suffrage universel uninominal à deux tours échoue à assurer la justice la plus élémentaire. Jamais la droite ne s’est retrouvée dans la situation d’avoir à voter à gauche pour éliminer les fachos. Ça, ça nous est réservé. Et je commence à l’avoir mauvaise. 

Macron a bien compris, depuis 2017, les avantages à tirer d’un « front républicain ». Se faire élire avec des voix de gauche sans lever le petit doigt, ça lui évite de débattre avec la gauche. Il se permet, en plus, de déplorer, le lundi 11, « n’avoir pas réussi à endiguer la montée de l’extrême droite ». Il s’était engagé à le faire en 2017, juste après son élection. On voit ce qu’il en est. Pas réussi à endiguer ? Pas comme s’il avait essayé, non plus ! 

Macron, on l’a vu à l’œuvre. Cinq ans à pousser les gens à bout : attaques en règle contre les services publics, le code du travail, l’assurance chômage, la retraite, les APL, le RSA, fermeture de milliers de lits d’hôpital, destruction des tentes des réfugiés, inhumanité, petites phrases méprisantes, violences policières jamais vues. Pour enfoncer le clou, tous les jours, à la télé, chez Hanouna, la tambouille Zemmour squatte l’antenne. Éructations si outrancières que par comparaison elles adoucissent le potage Marine. Tout benef pour l’extrême droite, dédiabolisée de fait. Prête à servir de repoussoir le jour des élections. Je serais Macron, je lui ferais porter des fleurs, à Le Pen. Il ne le fera pas, ça serait reconnaître ce qu’il lui doit. Tout ce qu’il veut c’est finir le boulot. Privatiser le pays. 

Depuis des années, on lit dans la presse que les Français rejettent l’idée d’un deuxième tour Macron-LePen. Ils ne veulent à aucun prix de la réédition du faux choix de 2017, entre Macron et LePen. Et bien ils auront LePen-Macron ! 

Pourquoi ? Parce que notre système électoral présidentiel, tel qu’il est, fut taillé sur mesure pour De Gaulle, qui avait, à tous point de vue, des mensurations particulières. Jamais changé depuis, il est prévu pour que le gagnant rafle la mise et que les autres comptent pour du beurre. Avec Le Pen dans la boucle, la gauche disparaît, carrément. 

LePen-Macron, c’est le choix entre le rat et le vautour. Je n’ai rien contre ses bêtes version nature. Version politique, elle me répugnent.

En 2012, la gauche y était. Et gagna. Sauf que c’était Hollande. Bien qu’il se fût présenté lui-même comme l’« ennemi de la finance », il mena une politique de droite (lois travail, réforme de l’hôpital…). Et nous laissa Macron en cadeau empoisonné. 

Quant à ceux qui pourraient croire que le RN est du côté du peuple, qu’ils sachent que l’extrême droite est TOUJOURS du côté des plus forts, des patrons, des propriétaires, du pognon. Toujours. Jamais du côté des pauvres, jamais du côté du peuple. Si vous croyez que votre sort s’améliorerait, pensez-y à deux fois. Le Pen parle d’augmenter les salaires en supprimant ce qu’elle appelle les charges. C’est pas des charges, c’est des cotisations. Ça paye la retraite et la sécu. En d’autres termes elle propose de vous payer avec votre propre argent. Ne gobez pas un truc pareil. 

J’ai posté sur Twitter que je ne voterais jamais pour LePen, une évidence qui va sans dire. Et aussi, qu’ayant regretté pendant cinq ans d’avoir cédé à la pression et voté Macron en 17, je m’étais juré de ne jamais le refaire. L’abstention est un acte politique. Réfléchi. Et motivé. Qui mérite réflexion. 

Depuis, je vois défiler les messages qui accusent les abstentionnistes de faire le jeu de Le Pen. Et d’autre part, ceux qui accusent de faire celui de Macron. Nous autres qui nous battons contre l’extrême droite depuis toujours, qui lui avons fait barrage dès le premier tour, nous retrouvons en position d’accusés :  la cata à venir, ça sera de notre faute.

Ceux qui ont dénigré Mélenchon, qui lui ont trouvé tous les défauts de la terre, se donnent désormais bonne conscience en appelant à voter Macron. La mode est aux accusations, aux anathèmes. Se faire engueuler par le plus puissant des partis, celui des décérébrés qui ne doutent de rien, donne envie de citer Courteline : « Passer pour un idiot aux yeux d’un imbécile est un plaisir de fin gourmet ».

16
Avr 22


La complainte du hamster


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Espace commentaire

Vacher - Le 16/04/2022 à 13:49

Merci pour cet article qui résume bien notre chagrin, notre douleur, notre colère et surtout en ce qui me concerne le désespoir. Depuis 1981 nous sommes toujours les perdants (en 1988 j'estime que c'était déjà un échec, même si j'ai voté pour Mitterrand). Cette fois on perd mais avec près de 22% d'approbation des électeurs. La gauche est vivante, elle est là, et pour les années qui viennent elle va devoir se battre sur tous les fronts, parce que que ce soit la facho ou le monarque, aucune de nos valeurs ne seront représentées. Mais j'ai 60 ans et j'en ai marre de rejouer Sisyphe à chaque fois. Comptons sur les législatives et la jeunesse, pour relever le défi. Au plaisir de vous lire. Toujours. Sylvie V

Isabelle Alonso - Le 16/04/2022 à 14:21

C'est vrai que Sisyphe, c'est lassant à la longue... Surtout quand on pense qu'il y a tant à faire, et que ce serait si beau... Mais perdre courage serait pire que tout. C'est le printemps, temps de manger du chocolat et de marcher dans l'herbe (tant qu'il y en a!). Un abrazo.



Francine Sprenda - Le 16/04/2022 à 17:47

Oui Isabelle, voter Macron au 2ème tour, c'est vomitif-- mais selon certain.es, ce serait la solution miracle pour être débarrassés du fascisme. A court terme peut-être mais pas à long terme. Parce que plus il restera au pouvoir, plus sa politique de destruction méthodiques des acquis sociaux et des services publics poussera les gens au désespoir, c'est à dire vers Marine Le Pen: Macron est le grand lepénisateur. Et MLP a l'habileté de se présenter comme la championne des "petits", leur protectrice contre la violence économique macronienne. Mon département, anciennement un bastion communiste, a voté MLP: trop de fermetures d'écoles, de bureaux de poste, de lignes de chemin de fer, d'urgences et de maternités, désert médicaux, disparition des commerces etc. Les gens se sentent oubliés, abandonnés. Bien sûr, la protection de MLP est une illusion, mais la colère des électeurs, qui s'exprime par le "vote protestataire" MLP est une réalité, et elle est parfaitement légitime. Tant que des franges de la population se sentiront complètement négligées, appauvries, méprisées, le FN continuera à engranger. Et toutes les objurgations à "faire barrage au fascisme" tomberont dans l'oreille d'un sourd: les castors sont fatigués.


Edouard - Le 18/04/2022 à 17:34

Je partage le constat mais je persiste et je signe, chaque voix qui aura manqué à Macron s’il perd l’élection aura fait gagner Le Pen… S’abstenir ou voter blanc c’est laisser la porte ouverte à Le Pen et donc oui évidemment que les abstentionnistes comme les votes blancs auront leur part de responsabilité… Pas uniquement eux mais eux aussi… exactement comme ceux qui ont manqué à Mélenchon pour battre Le Pen… Après c’est une affaire de choix, mais ça serait bien de ne pas nier sa part de responsabilité… Il reste les législatives pour obtenir une opposition forte et bien rappeler à Macron qu’il ne doit pas son élection à un vote de soutien et d’adhésion à son programme mais à un rejet du fascisme et qu’il ferait mieux d’en tenir compte… Encore faudrait-il que les gens aillent voter aux législatives…


Angelique - Le 16/04/2022 à 23:28

Vous avez malheureusement complètement raison et c’est ce qui est rageant. Il ne reste que les législatives pour tenter de freiner les mesures Macron. C’est presque improbable mais cela reste possible. Il faut continuer à utiliser tous les mécanismes des institutions, même si les chances sont maigres. J’ai toujours eu l’impression que les législatives étaient étouffées par rapport aux présidentielles. Très peu en parle. J’espère qu’elles seront omniprésentes dans les médias mais aussi sur le terrain là où il y a l’abstention et que la gauche réussira à provoquer la vague et faire enfin naître une opposition que plus personne ne pourra ignorer. Il ne faut surtout pas donner carte blanche à Macron.


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