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Fachos et fâcheux

thPendant très longtemps, j'ai été convaincue qu'après la Shoah, l'antisémitisme disparaitrait de lui même. Mourrait. Je me disais que les images, les témoignages, agiraient comme un vaccin. Éradiqueraient pour toujours cette persécution venue du fond des temps, si ancienne que personne ne sait plus à quoi l'attribuer. Le bouc émissaire. L'Autre. L'archétype de l'Étranger.

Je ne me trompais pas un peu. Je me trompais beaucoup. "Le ventre est encore fécond d'où a surgi la bête immonde". Brecht faisait allusion au fascisme, mais ça vaut pour toutes les formes de haine. Car il s'agit davantage de la haine que des Juifs. Les Juifs n'y sont pour rien. Ils suscitent de la haine. Pourquoi? Aucune "raison" n'est légitime. La question n'est pas là. Le projecteur doit se poser sur les coupables, pas sur les cibles de leur violence. La question, c'est la haine.

Il faut croire que l'être humain a besoin d'aimer. De croire. D'adorer. Mais aussi de haïr. Haïr, comme ça, à priori, un groupe humain, en vrac, c'est appliquer le proverbe "qui veut noyer son chien prétend qu'il a la rage".  La haine précède la justification. Quand on en vient aux Juifs, groupe humain à qui on a déjà dans le passé infligé le pire, ça ne peut pas s'expliquer. Ça ne peut que se combattre.

th-1La haine ne s'explique pas plus que l'amour. Elle repose sur l'ignorance, la frustration, la bêtise, la peur. Devant une même réalité, certain·e·s réagiront par la haine et d'autres par la solidarité. La seule réponse à la haine est son sabotage systématique. Rester concentré et ne rien laisser passer.

Je me souviens d'une interview télévisée, j'ai oublié dans quelle émission, c'était il y a longtemps, dans les années 90 je crois, mais elle m'avait frappée. Un très jeune Polonais expliquait que si son pays allait mal, c'était à cause... des Juifs. Il ne savait pas au juste qui ils étaient, mais il affirmait qu'ils étaient à l'origine des dysfonctionnements. Rappelons que la communauté juive de Pologne fut exterminée par les nazis des décennies avant la naissance de ce pauvre garçon.

La haine des Juifs synthétise toutes les autres formes de haine. Mais c'est quoi, au juste? Qu'est ce que ça veut dire, "Juif", quand on sait que les Juifs étant des individus, il y a autant de formes de judéité que de gens, croyant, agnostique, athée, pratiquant, non-pratiquant, conservateur ou progressiste, pro ou anti-Netanhyaou, de droite, de gauche, autoritaire, libéral ? Réduire cette diversité humaine à un mot pour la dénoncer, c'est déjà l'enfermer, la limiter. C'est le début de l'abus. Les nazis avaient décidé des critères qui séparaient ceux qui avaient le droit de vivre de ceux qui méritaient le massacre. Haine.

C'est comme être Noir. Si on s'en tient à la couleur de peau, il y a une infinité de nuances d'épiderme. Qui détermine qui est Noir et qui ne l'est pas ? Les racistes. En Amérique, dans le Sud esclavagiste des plantations, était Noir qui avait un huitième de sang noir. Un arrière grand parent noir entrainait de facto le statut d'esclave et son cortège d'horreurs. La couleur de peau n'est qu'un prétexte, un critère des racistes. Pas de leurs victimes. Haine.

th-2Dans l'Espagne franquiste, tout opposant se voyait qualifié de "Rojo". Rouge. Anarchiste, socialiste, social-démocrate, communiste, athée, peu importait. Le facho n'aime pas la nuance. Pas son problème. Devenait Rojo quiconque n'était pas d'accord. Sur ce critère, subjectif, arbitraire, on arrêtait, on torturait, on jugeait sommairement, on emprisonnait, on exécutait. Haine.

Et les femmes? La haine des femmes, du féminin, s'est exprimée partout, depuis toujours, sous des formes diverses mais avec une constante: nous réduire à nos fonctions reproductives ou récréatives. Les autorités de toutes sortes (religieuses, médicales, politiques, philosophiques, etc...) nous ont définies, délimitées, organisé notre destin: maman ou putain, le foyer ou le bordel. Pas d'échappatoire, pas d'autre alternative. La vie en cage. Sous peine de mort, ou d'exclusion sociale, ce qui revient au même. Haine.

Les exemples foisonnent. La haine persiste, envers et contre tout. Elle est multiforme, toute en plasticité, en opportunisme, en lâcheté. En violence et en cruauté. C'est désespérant. C'est dégueulasse. Pourri jusqu'à la moëlle.

th-3Je regarde la vidéo, filmée le 16 janvier, (acte XIV), de Finkielkraut pris à partie par une poignée de Gilets Jaunes en pleine hystérie. Ils ont identifié un mec connu, un qui passe à la télé, un membre de ces élites détestées. Les voix déraillent, les invectiveurs se saoulent de paroles, en rajoutent, les caméras semblent leur donner de l'élan. Finkielkraut, seul ou épaulé par un ami comme le montrent les dernières images, fait face, avec un demi sourire qui vient de si loin que ça serre le coeur... A ce moment précis, et quoi qu'on pense de ses idées (pas les miennes et ça n'a aucune importance) on est avec lui. On est de son côté. Un homme face à la foule. En elle même l'image est détestable, en évoque tant d'autres.

Je note ce que j'arrive à distinguer dans le gloubiboulga verbal qui lui tombe dessus (pas facile, on est dans une surenchère confuse et peu imaginative) majorité de voix masculines, mais on entend aussi quelques voix de femmes et je mets entre parenthèses ce que je crois distinguer sans en être absolument sure:

- espèce de sioniste de merde !

- batard !

- nique ta mère !

- palestine! palestine!

- sale raciste (de merde?)

- dégage!

- sale race!

- enculé!

agitant un keffieh jaune pâle: elle est à nous la France!

- (salope!)

- espèce de haineux t'es qu'un haineux

- c'est la France d'en bas!

- (salaud d'enculé!)

- le peuple va te...

- nous sommes le peuple!

- grosse merde!

- on te reconnaitra, tu te reconnaitras!

- t'es pas le chef!

- espèce de sioniste! c'est de nouveau l'homme au keffieh, geste large vers la foule: vous j'ai rien contre vous, c'est contre cette merde, cette grosse merde!

- il est venu exprès pour nous provoquer!

- Israël!

- sioniste!

A noter que le mot "Juif" n'est pas prononcé.

th-4Signe qu'il ne s'agit pas ici de l'antisémitisme "classique", d'extrême droite, d'avant guerre. Celui qui s'exprime le plus souvent par lettres anonymes, par tags, qui emploie le mot "Juif" et des croix gammées à tire larigot, comme récemment dans la souillure du portrait de Simone Veil, ou celui de la vitrine d'une patisserie. Il subsistait à l'état larvaire, attendait l'occasion. Il réapparait depuis les mobilisations du mariage pour tous, décline le même vieux lexique, se revendique des négationnistes, reste limité aux milieux d'extrême droite qui pour être ultra minoritaires n'en ont pas moins un redoutable pouvoir de nuisance. Ils infiltrent les Gilets Jaunes, ça ne représente pas de difficulté majeure dans le contexte de ce mouvement ouvert à tous les vents.

th-5Nous sommes dans un autre cas de figure. Nous sommes dans l'affirmation (opportuniste? sincère? en tout cas hors contexte, et ne faisant que servir de prétexte à l'insulte) de la solidarité avec la Palestine (keffieh). Vieux débat. On doit pouvoir dénoncer la politique du gouvernement d'Israël vis-à-vis des territoires occupé depuis 1967, sans être taxé d'antisémitisme. Mais il faut savoir de quoi on parle et le dire clairement. Et veiller à ce que la légitime solidarité avec le peuple palestinien ne déborde pas de son cadre. Ne pas oublier que les idéologues salafistes font de la propagande en France depuis des années et ont les mêmes talents d'infiltration que les nervis d'extrême droite avec les mêmes effets dévastateurs. Importer le conflit Israélo-Palestinien dans le combat des Gilets Jaunes est une très mauvaise idée. C'est donner de l'écho à des idéologies toxiques. C'est se tirer une balle dans le pied.

Et quand on hurle : "sale race", face à Finkielkraut également qualifié de sioniste, de quelle "race" parle-t-on? Pas des sionistes. Sionisme et antisionisme sont juste des courants de pensée. Soit dit en passant, ce sont des termes rendus obsolètes par le temps. S'opposer à la création d'un État Juif en 1947 avait un sens. 70 ans après, ça n'en a plus aucun. Substituer "Juif" par "sioniste"  ne trompe personne. Rappelons que le concept de race ne repose sur aucune analyse scientifique et ne sert que le racisme. Et dans le cas présent, l'antisémitisme pur et simple. En recourant à l'insulte, on se lance dans l'à-peu-près, le n'importe quoi, l'approximatif, le mensonge. On se discrédite, on s'avilit soi même.

th-1A noter aussi: quand un Juif est traité d' "enculé", sommes nous dans l'antisémitisme, ou dans l'homophobie? Les deux. Nous sommes dans la haine, aussi simpliste que multidimensionnelle. Quelle que soit la cible, quel que soit le groupe humain concerné, la haine utilise les mêmes recettes, les mêmes amalgames, les mêmes prétextes. Et porte le même danger.

A noter en plus, que le 9 décembre, Finkielkraut s'exprimait sur i24de manière nuancée et solidaire à propos des Gilets Jaunes. En leur faveur. On voit mal ce que ses détracteurs peuvent opposer à son analyse. Mais ont-ils seulement pris la peine de se renseigner ? Et quand bien même la foule croiserait un réel ennemi des Gilets Jaunes, ça ne justifierait en rien de se lancer dans des insultes tout azimuts.

Cette poignée de types surexcités, hystériques, salit bien évidemment l'image des Gilets Jaunes. Ça n'a rien de nouveau. Je me souviens, au début, d'une femme hilare déclarant: "Nous ce qu'on veut c'est Brigitte à poil sur une palette". Misogynie provenant d'une femme.

Il reste que tout soumis qu'il soit à des infiltrations et provocations en tous genres, le mouvement des Gilets Jaunes reste ce qu'il est: une représentation de la population atteinte de plein fouet par la misère d'aujourd'hui. Je me permets de citer Finkielkraut dans son intervention mentionnée plus haut: "c'est la revanche des laissés pour compte de la nouvelle division internationale du travail".

Les Gilets Jaunes forment un échantillon représentatif de la population française. Il y a dans leurs rangs les mêmes proportions de fachos et de fâcheux, de haineux et d'amoureux que dans la population totale. Condamner les propos haineux est aussi évident que de ne pas condamner le mouvement dans son ensemble.

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Fév 19


Fachos et fâcheux


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sporenda - Le 18/02/2019 à 10:34

L'antisémitisme est différent des autres racismes. Ceux-ci sont basés sur l'affirmation de l'infériorité des personnes racisées. La haine du Juif se base au contraire sur le sentiment de leur supériorité: ils seraient plus malins, plus débrouillards, plus doués pour les affaires donc réussissant mieux que les goys. Et donc très puissants, capables de s'insinuer partout et dirigeant les affaires du monde grâce à leur argent. L'antisémitisme ne procède pas du mépris, mais de l'envie envers ces Juifs qui réussissent mieux que nous--et qui donc sont vus comme nous volant l' argent et les places qui devraient nous revenir.

Isabelle Alonso - Le 18/02/2019 à 10:47

Tout à fait d'accord. Les bases en sont différentes. Les effets tristement similaires.



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