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En défense de Catherine Allégret

Pour un beau lynchage, c’est un beau lynchage ! Medialand est secouée d’indignation ! Quoi ! Elle a osé ! Catherine Allégret affirme sur la place publique, par écrit, avoir été abusée quand elle avait cinq ans par son beau père, futur père adoptif. Scandale ! Mais qui fait scandale ? L’abuseur ? Non ! L’abusée ! Et pourquoi ? Parce que ça se fait pas de dire des choses pareilles, surtout au sujet d’un mort sans défense. Et encore plus quand le mort sans défense est une des plus grandes stars françaises de la chanson et du cinéma.


Première surprise pour moi : les moult débats qui ont suivi la sortie du livre de Catherine Allégret n’avaient pas comme sujet l’inceste, mais le “ déballage ” de la vie privée par les people : Benjamin Castaldi, sa mère Catherine Allégret, mais aussi la fille de Jacques Anquetil et le fils de Gérard Depardieu. En introduisant Guillaume Depardieu, dont les démêlés avec son père n’ont rien à voir avec l’abus sexuel, on mélange les problèmes , ça brouille les données de la question... Ça distrait l’attention du public. Comme un prestidigitateur attire votre attention sur sa main droite pendant que de la gauche il met un poussin dans votre poche ou vous enlève votre montre, on cherche des réponses à un faux problème. Faire de cette affaire un simple coup médiatique et débattre de son opportunité permet de garder le silence sur les vraies questions, qui sont celles de la fréquence de l’inceste, de ses ravages sur les victimes, et de ses conséquences dévastatrices à long, voire très long terme.


On aborde habituellement l’inceste dans des débats un peu larmoyants, plein de bons sentiments et de plus jamais ça. Mais qu’une victime parle hors des limites du terrain prévu pour cet exercice, et l’ignorance, la bêtise et le déni se déchaînent. C’est pourtant un grand classique de ne pas pouvoir parler pendant des années, de se sentir coupable, d’avoir des amnésies, des manifestations somatiques, un mal de vivre inexpugnable. Quiconque parle avec des victimes sait que tout ce que dit Catherine Allégret sonne juste.


J’ai entendu les mots “ obscénité, déballage, règlements de comptes, étalage de vie privée, exhibitionnisme, etc ”. Et moi, je pensais à une petite fille de cinq ans. Certes, un mort ne peut pas se défendre. Et une petite de cinq ans, elle fait comment pour se défendre ? Et même pour comprendre ? Cette petite fille, même un demi siècle plus tard, et alors que de manière évidente sa blessure reste ouverte et a abîmé la vie de son propre fils, ne mérite-t-elle pas quelques secondes d’attention, de sympathie ? D’un simple regard, d’un minimum d’écoute ? D’un peu de chaleur humaine ? Ou, au moins de simple interrogation ? Comment elle se défend, elle ? Si cinquante ans plus tard on n’admet pas qu’elle parle, comment sa parole aurait elle été accueillie avant ?


Combien ont-elles, et combien ont-ils été à emporter dans leur tombe le secret jamais dit, le secret que leurs enfants, à leur tour, ont porté et qui empoisonne les familles sur des générations ? J’ai vu Benjamin Castaldi parler de sa mère au printemps dernier. J’ai vu un fils, parvenu à l’âge d’homme, se lever pour défendre sa mère. Ce courage là, il fallait l’avoir. Le vrai courage est rare. Faire face à la bêtise bien pensante, à la lâcheté, aux lyncheurs, il fallait le faire. Il l’a fait. Prétendre qu’il ait pu faire ça pour faire parler de lui est abject. Un fils qui défend sa mère, c’est simplement humain. Et magnifique.


Beaucoup de réactions concernent Valentin, le fils que Montand a eu à la fin de sa vie, et qui est aujourd’hui adolescent. On considère qu’en parlant, Catherine Allégret oublie la sensibilité de Valentin, qui n’y est pour rien et qu’elle soumet à une violence gratuite. Bien sûr que pour Valentin ce ne doit pas être facile, ça peut se comprendre. Que faire alors ? Considérer que les souffrances de Catherine et de Benjamin étant désormais inévitables, il est toujours temps d’épargner le plus jeune, Valentin ? On peut supposer que Catherine s’est posé la question. On peut aussi supposer qu’arrêter le mensonge finit par être bénéfique pour tout le monde, pour peu qu’on accepte juste d’en parler calmement. Les secrets, même cachés au plus profond, suintent dans le silence et dans l’obscure conscience que quelque chose qu’on ne comprend pas empêche de respirer librement. Au moins Valentin saura t-il qu’un homme, ça peut avoir des faces glorieuses, et des faces d’ombre. Son père était un mythe, une star. Et aussi un homme. C’est comme ça. Et peut être que le tout jeune Valentin, pour peu qu’on lui laisse le choix, aura de la curiosité pour cette fille que son père, un jour, a choisi d’adopter. Qu’il aimera la connaître. Peut être que cette histoire l’intéressera parce que c’est, aussi, un peu, la sienne. Peut être. Si on lui laisse une chance.


On a dit que Catherine Allégret aurait pu se contenter de parler à son psy, ce que d’ailleurs elle a fait pendant des années. Qu’elle n’a cherché qu’à attirer l’attention et à se faire de l’argent. Mais Catherine Allégret est née sous les spotlights. Elle n’a pas choisi. C’est sa maison. Elle parle de là où elle est. C’est son choix, et c’est son droit. Un choix que non seulement je respecte mais que j’admire. Son courage, un jour, sera reconnu. Et sa parole va encourager d’autres paroles de petites filles, et de petits garçons, qui, même devenus vieux, ont le droit de parler. Et ses mots qu’elle ose enfin libérer, vont alléger l’air que respirent aujourd’hui ses petits enfants.


iA

06
Nov 04


En défense de Catherine Allégret


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Espace commentaire

MAHE Géraldine - Le 17/03/2012 à 15:27

Je tombe par hasard sur cet article qui commence à dater. Bravo pour votre soutien à Catherine Allégret, pour vos mots, simples, touchants, émouvants et merci pour toutes les petites filles, et petits garçons, meurtris à vie par le silence et la honte.


marie france jaffrennou - Le 03/05/2014 à 11:07

Intelligence du coeur que celle d'isabelle Alonso, logique dans sa défense des petits. Oui, il faut parler pour purifier l'atmosphère empuantie par les prédateurs - qui jouent sur le silence (des agneaux) pour perpétrer leurs méfaits. C'est noir et blanc? c'est sans nuance? oui: c'est sans nuance et noir et blanc.


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