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Banzaï, aïe...

images-1 Ce matin, le ciel était grognon et la mer ronchon. Nuages bas et vagues énervées, que du gris. Sous ces latitudes, je suis à Alicante, et en plein mois de mai, ça n'a rien d'habituel. Il pleuvait pas pour autant, ce qui aurait réjoui le paysan autochtone. Non, même pas. Juste de mauvais poil, la plage. J'aurais dû me méfier de ce début de journée.

imagesOn ne peut pas dire que ça vienne par surprise, non. On ne peut pas dire qu'on ne s'y attendait pas, vu qu'en fait on s'y attendait. Mais justement. On le voyait arriver, avec son tuyau sous le nez, son petit fauteuil électrique qui ressemblait à un jouet, exactement conforme aux autoportraits qu'il mettait dans le journal, et il évoquait tout sauf une fin prochaine. Alors on se disait que c'était pas pour tout de suite, qu'il en avait sous les pneus et qu'il avait pas fini de distribuer à tire-larigot pied de nez et doigts d'honneur.

Il tenait lui même ses chroniques hospitalières avec une telle verve, une telle bonne humeur, son écriture à la main restait si belle et si claire qu'il aurait fallu pour s'inquiéter avoir un tempérament de bonnet de nuit qui n'est pas le style de la maison.

images-2Mais ce matin ça ne rigole plus. Il s'est bel et bien fait la malle, il a tiré sa révérence et on se retrouve toute conne, toute triste. Parce que maladie ou pas, âge ou pas, loi de la vie ou pas, on ne fait jamais l'économie du chagrin. J'ai bien pleuré, Bob. Je sais, c'est pas ce que tu aurais voulu, mais c'est comme ça que ça se passe, quand on en compte encore un de moins dans le troupeau vivifiant des vieux qui ne renoncent jamais. Et qui, même en rajoutent avec le temps. Merde. T'aurais pu t'accrocher un peu plus longtemps, il va finir par plus rester personne chez les vieux rebelles, qui ne laissent pas le rouge et noir virer au rose et gris, sentinelles d'un rêve éclaté et gardiens de notre moral de désespérés du grand soir.

Au début, quand je ne le connaissais pas, je tenais Siné pour un de ces affreux Jojo, de scrogneugneu en cacaboudin, qui se la pètent, plus anar, plus subversif, plus grande gueule que tout le monde. Moi, c'est Catherine, sa chérie, la grande, la superbe, que je connaissais, c'est elle qui a pensé à moi pour mettre mon grain de sel dans Sinéhebdo naissant. Je lui avais envoyé un petit mot solidaire à l'époque de l'affaire fiston Sarko. J'avais trouvé grotesque et triste l'accusation d'antisémitisme. Quand antisémitisme il y a, je suis d'avis qu'il faut tirer à boulets rouges. Mais quand il n'y en a pas, et qu'on tire quand même, on ne rend service à personne et surtout pas à l'intelligence. Il y a assez de haine ambiante pour ne pas se tromper de cible.

sineC'est au lancement de l'hebdo, donc, que j'ai rencontré Siné pour la première fois. Rien à voir avec l'image que j'avais de lui. Le mec avait un sourire de gosse qui démentait d'emblée le moindre cynisme. Insolent et infiniment gentil. Gouailleur et bienveillant. Par la suite j'ai eu l'occasion de constater sa générosité et sa capacité à rire de tout, en commençant par lui même. Un coeur gros comme ça. Bob était de ces vieux de la vieille qui aiment tellement la vie qu'on finit par se persuader qu'ils arriveront bien à se faire oublier de la faucheuse.

Tu es entré dans la nuit, la vraie, celle qui ne finit pas.

Et tous nous savons que tu t'y tiens debout pour l'éternité.

 

 

05
Mai 16


Banzaï, aïe...


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Espace commentaire

Martinez Katy - Le 06/05/2016 à 16:40

Voilà une écriture vraie. Et belle. Voilà une homme comme tous les hommes. Un honnête homme. Au revoir.


Chantal - Le 08/05/2016 à 16:06

Bon anniversaire Isabelle. Je ne peux pas passer chez vous sans le souhaiter alors que c'est le jour exact. Je viens de temps en temps lire, me cultiver, réfléchir en votre compagnie. J'ai adoré "l'exil est mon pays". Portez-vous bien, longue vie aux féministes de tous poils.


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